Sur le compte Senat Direct qui relaie les séances publiques et les auditions du Sénat, Jean-Michel Aulas (FFF), Jean-Pierre Caillot (Stade de Reims), Joseph Oughourlian (RC Lens), Olivier Létang (Lille) et Maarten Petermann (fonds Merlyn Partners) ont représenté le football professionnel français pour évoquer la financiarisation du football. Différents sujets ont été évoqués : CVC, les droits TV, etc. On fait le point sur les déclarations du président du Racing Club de Lens.
Pourquoi leurs venues devant le Sénat ?
« C’est une démarche de chaque club et concertée. Le point, c’est que tous ici et les présidents de clubs, quand on a vu cette commission se créer et quand on a vu les premières personnes convoquées à la commission… Des gens qui sont soit complètement en dehors du football ou depuis longtemps. Un ex-président de l’OM qui a été président sur une période très courte avant de se faire virer par Monsieur Louis-Dreyfus. Un président d’un club qui était, il n’y pas si longtemps, en Ligue 2 et qui surtout était le dirigeant de plusieurs chaînes de télévision qui n’ont qu’une seule chose en commun : la faillite. Moi-même, j’ai connu Jean-Michel Roussier puisque quand j’arrive au RCL en 2016. Le club, je l’ai racheté devant le tribunal de commerce. Je reçois un coup de fil de monsieur Caiazzo, qui était président de l’ASSE, et qui me dit “est-ce que t’as un problème si on ferme la chaine Onzéo ?” J’ai dit “C’est quoi la chaine Onzéo”. Il me dit que c’est une chaîne où l’on retransmet des contenus de l’ASSE et du RCL. J’ai regardé ce que c’était et, essentiellement, c’était une manière de payer Roussier. Un salaire très grassement rémunéré. Avec l’ASSE, on s’est mis d’accord pour fermer la chaine. Après, je l’ai retrouvé avec la chaine Mediapro, qui a duré quoi deux mois. Et, aujourd’hui, on retrouve ces gens-là qui viennent juger nos décisions qu’ils considèrent comme “absurde” avec CVC et vous leur donner toute l’écoute possible ici dans cet endroit respectable. On s’est ému de cette situation et on a décidé d’envoyer chacun un courrier. »
Le plan CVC/Ligue, est-il crédible ?
« Je vais faire un pas en arrière. Si on reprend Mediapro, c’est une erreur mais c’est facile pour moi car je n’y étais pas. Par soucis de transparence, Mediapro je ne connais que trop bien puisque je suis aussi le président d’une des plus grosses sociétés de média espagnols et je connais très bien Mediapro et sa réputation en Espagne. Je pense que donner 80% de vos droits à un groupe qui n’a pas une bonne réputation et qui n’est pas solide financièrement, ce n’est pas bonne idée. Avec le recul, c’est facile de le dire. Si vous pensez que nos plans ne sont pas optimistes. Mediapro en 2018, c’est fantaisiste avec Roussier à sa tête. En 2018, Canal n’était pas là. Ils sont entrés dans la procédure en mettant un euro, pour sortir des enchères et aller de gré a gré. Ils ont fait le pari, ils ont perdu. A l’époque, beIn n’est pas là, RMC n’a pas d’argent et Orange a abandonné. Canal est seul et va tuer l’enchère. C’est une stratégie. La Ligue, à l’époque, a choisi ce qu’iil y avait. La Serie A a choisi plus sage. J’en viens à deux choses. Regardez les déclarations de Canal, de la Ligue. On est dans le monde des affaires, on envoit de la fumée quand tous les chemins vont vers Canal. Il y a une situation de monopole naturel. C’est une table de poker où chacun dit avoir une bonne main. Ce n’est pas un endroit d’enfants de coeur où on se fait des cadeaux, il y a des négociations très durs et très âpres. Le prix ? C’est compliqué quand on a une situation naturel de monopole. On s’aperçoit que le foot français est très attractif. C’est pour ça que les fonds entrent. Trop peu de français investissent dans le foot français. S’il n’y a pas le monopole, on a des exemples comme Nike qui double son contrat pour la FFF. Mcdo qui double sur Uber eats pour la Ligue. Des grands sponsors qui veulent doubler leur prix par rapport à ce qu’il valait. C’est difficile de déterminer un prix juste quand il y a un monopole naturel et qui dure. Vous donnez plus d’argents, on invertit, le club est performant, il performe en Europe, il est plus attractif. Les Anglais l’ont compris il y a 30 ans avec Sky et la Premier League. C’est ça l’idée du deal CVC. Quand on vote pour CVC, on vote surtout pour vendre 13% de la médiaco. On est tous pris à la gorge car la France a arrêté le foot, dans sa grande sagesse, lors de la Covid. On est le seul pays à avoir fait ça. Ca nous a tué dans les droits TV, tué Mediapro. Après, moi, ça m’a permis de monter en Ligue 1. »
L’utilisation de l’argent de CVC (le RCL a reçu 80 millions d’euros)
« Nous l’avons investi dans la formation et dans l’amélioration de l’équipe première puisqu’à l’époque le club venait de passer de la Ligue 2 à la Ligue 1. Nous devions l’améliorer rapidement et c’est ce que nous avons réussi puisque la première année, nous finissons 7e. Ensuite, nous avons investi dans les infrastructures car notre centre de formation de La Gaillette était sous-investi. Quand je suis arrivé, cela faisait 12 ou 13 qu’il n’y avait pas eu de travaux. Parce qu’aussi le club a passé un bon moment en Ligue 2, alors il a été négligé, lui qui a été créé en l’an 2000. »
La répartition de l’argent de CVC (certains clubs touchent plus que d’autres)
« Il y a eu un choix fait, un choix élitique. À ce moment, une des choses les plus pressantes pour les clubs français étaient de conforter les points UEFA de la France en Europe car les Pays-Bas nous talonnaient. Alors on a estimé qu’il fallait mettre de l’argent sur les clubs européens pour qu’ils aient plus de chances en Europe. (…) Quand on regarde les audiences et malheureusement cela va en ma défaveur, c’est le PSG qui est très au-dessus des autres clubs. Après, il y a Lyon, Marseille, nous… et… le LOSC (rires). Il faut être réaliste. Une autre ligue a essayé d’être plus équitable avec l’argent de CVC pour les clubs. C’est la Liga. Le Barça et le Real ont refusé et aujourd’hui, l’affaire est devant les tribunaux. Les deux clubs contestent le deal de CVC. Il y a une vraie chance qui l’emporte et dans ce cas, tous les autres clubs devront rendre l’argent de CVC. Nous, en France, nous avons réussi à faire quelque chose qui n’a pas été fait autre part : avoir l’unanimité des clubs. Vis à vis des clubs européens, il fallait donner quelque chose de plus, c’est un compromis. Ce n’est pas le meilleur, je l’entends comme le signifie certains présidents de club. Avec Lens, lorsque nous sommes montés de Ligue 2, nous avons eu ce genre de problème. À l’époque, les clubs devaient rembourser Canal à cause de l’interruption des championnats liés à la Covid. On avait la sensation d’être le cocu de l’affaire. On n’a pas touché les droits mais on doit rembourser. Au final, on a remboursé Canal avec les autres alors qu’on y était pour rien. Mais la leçon qu’on en a tiré, c’est qu’on aurait pas du être en Ligue 2 pendant 12 ans. »
La création d’une chaîne à 25 euros (similaire au projet Mediapro)
« C’est délicat d’en parler en ce moment car nous sommes en situation de négociations, on ne va pas dévoiler toutes nos cartes. Mais tout d’abord, Mediapro visait 4 millions d’abonnés. Or Mediapro n’avait que 80% des matchs et pas les meilleurs, que beIn Sports a pris puis Canal. J’ai vu les chiffres prévus et le plan est infiniment plus raisonnable. Si on met tous les matchs de la Ligue 1 sur une chaîne, on peut raisonnablement espérer moins de confusion pour les consommateurs et qu’ils nous suivent. Je pense que si on avait pu trouver un diffuseur au prix que l’on voulait, ce serait fait. La Ligue a proposé plusieurs lots mais les diffuseurs n’avaient pas l’argent pour acheter tous les lots. »
L’arrivée des fonds d’investissements
« Aujourd’hui, les corporates français n’investissent plus ou pas dans les clubs, seulement dans la publicité. En Allemagne, c’est quelque chose de commun et il y a un lien fort. Avant, il y avait Peugeot à Sochaux mais il s’est retiré. Les autorités françaises n’aiment aider le football, il n’y a pas davantage fiscaux qu’il y a partout en Europe. Le Stade de Reims paye autant d’impôts que le Bayern Munich. Pareil sur le traitement des supporters par les différents préfets.
Canal+ préfère acheter la Ligue des Champions pour 480 millions d’euros donc va donner de l’argent à des clubs européens mais pas à nous. Avec Canal, c’est comme un divorce et tout le monde a tort. On s’est trompé. Maintenant, il faut retrouver une relation de confiance avec car il ne va pas casser sa tirelire pour nous.
Quand Merlyn Partners reprend le LOSC qui est en banqueroute. C’est une très bonne nouvelle. Quand Redbird reprend Toulouse, c’est une nouvelle extraordinaire. Donc, quand CVC vient avec 1,5 milliards d’euros pour le football français, c’est inespéré. Moi, je vois ça comme des nouvelles positives quand les acteurs locaux ne sont pas là : diffuseur, corporate, État, etc. Heureusement qu’il y a eu ces fonds. D’ailleurs, je me suis sans doute trop exposé financièrement, j’ai trop investi et ma femme grince des dents. Je dois apprendre de monsieur Caillot. Mais je me félicite tous les jours de l’entrée de Merlyn Parteners sinon, aujourd’hui, il n’y aurait pu de LOSC, il n’y aurait pu de derby et on aime ça. On aime les derbys et notamment les battre (rire). »